Catherine Lacaze Paule est la présidente du CPCT Aquitaine.

– Le CPCT Aquitaine a 10 ans, que retenez- vous de cette expérience inédite? 

Pour commencer, je dirais qu’en un sens, en 10 ans, rien n’a changé. Les principes fondateurs restent : proposer dans la cité la possibilité de rencontres avec le discours analytique,  accueillir des sujets qui demandent à parler de ce qui ne va pas à quelqu’un. En l’occurrence, un professionnel formé à la psychanalyse. Le CPCT est alors un lieu de réponse plus qu’un lieu d’écoute.

Au CPCT il n’ y a pas d’urgence, pas de soin, mais une réponse rapide ayant des effets d’allégements. Pas de questionnaire, pas de savoirs préétablis ou de connaissances prérequises, pas de langage prédéfini, mais le sujet parle dans sa langue, avec ses mots. C’est le plus épatant de l’expérience, tout ce qui peut être bricolé par la parole à partir de l’expérience analytique. Ce qui me frappe dans cette expérience, ce sont toutes ces paroles inédites qui ont des effets rapides et notoires dans les malaises éprouvés et dans le rapport à un mode d’être. Ces paroles, celles des consultants ou des psychanalystes, sont parfois simples ou étonnantes, mais marquantes et surtout chaque fois singulières. Les personnes qui s’adressent au CPCT le font car ce lieu leur a été indiqué par d’autres professionnels, mais aussi de plus en plus par le bouche à oreille comme un lieu à part où on y met du sien. Paradoxalement le CPCT, c’est un luxe, le luxe de créer les conditions de l’impact de la parole sur le corps et la pensée. 

– Quelles perspectives se dessinent pour la suite? 

Les perspectives sont d’abord de tenir le cap pris. En effet, il y a, aujourd’hui, le CPCT ados à Cenon, créé il y a 10 ans, auquel s’est rajoutée une antenne à Libourne, le CPCT lien social sur Bordeaux, et le CLAP « l’enfant qui vient » qui accueille les futurs parents, les jeunes enfants et leurs parents.  Recueillir les modalités particulières des demandes de consultation, repérer quels symptômes sont traités lors des séances, et ceux qui restent à traiter – ce qui se fera ailleurs ou restera en l’état – et enfin isoler et fonder en logique les effets analytiques obtenus : c’est un cumul d’expériences qui a son poids. Les désirs de formations restent très forts. Les trois matinées du CPCT, ouvertes à d’autres professionnels, ont été une expérience dont les thématiques se sont avérées intéressantes. D’autres modalités auront cours en 2018. Nous sommes toujours à la recherche de modes de réflexion et de transmission innovants de l’orientation lacanienne, et nous nous coordonnons avec la FIPA : Fédération des Institutions de Psychanalyse Appliquée, créée en 2015. En Janvier 2016, un atelier de psychanalyse appliquée a vu le jour sous la responsabilité de Philippe La Sagna. Des futurs consultants au CPCT s’y forment. De nombreux professionnels sont tentés par l’expérience et le gain de savoir qu’ils en retirent. Reste l’épineuse question des subventions pour le fonctionnement administratif, les politiques sont très soutenants et engagés dans notre action et pour notre démarche, mais disposeront – ils des finances nécessaires ?

– Qu’est-ce qui a changé dans le monde en 10 ans ?

10 ans, c’est une moitié de génération, et on peut noter une accentuation de certains phénomènes qui ont pris de l’ampleur. Si je devais serrer cela en quelques signifiants, je dirais, instabilité , précarité, exil et inventivité.

L’instabilité se retrouve au niveau politique, économique, climatique, mais aussi au niveau familial, l’instabilité plus notable des grandes significations que sont la paternité, la maternité, le genre etc.

La précarité est celle des régimes politiques, de l’accroissement des pauvretés, mais aussi, selon l’expression que nous avançons dans la psychanalyse lacanienne, la précarité symbolique. La prégnance de l’imaginaire supplante celle du symbolique et dénude toujours plus le réel. Par ailleurs, cette précarité renforce les démarches identitaires fortes.

L’exil est avant tout le grand phénomène de l’ immigration dont on ne serait qu’au début, mais c’est aussi l’exil par rapport à soi-même et aux autres. Nous passons de plus en plus de temps sur nos écrans, mais être connectés n’est pas la même expérience des corps que la rencontre. D’une façon générale, depuis 10 ans, le lien social est mis à mal par les formes de l’économie et du capitalisme croissant, et la prédominance des objets de la science touchent à la subjectivité, au corps.

Grâce à la psychanalyse on peut faire résonner combien la dimension collective et la dimension individuelle sont liées à ces nouvelles donnes. Et l’on est toujours surpris dans la pratique analytique d’entendre les ressources, l’inventivité des sujets pour se faire responsable face à ces changements.

Les artistes en témoignent. Les enfants se montrent ingénieux pour trouver comment composer avec leur famille, les jeunes pour se saisir des objets sans s’obliger, pour se frayer – plus que de suivre – un chemin dans la société. Les sujets contemporains démontrent leur capacité à bricoler, à jouer avec les identités etc.

Mais ces transformations ne se font pas sans malaises et pour les surmonter, il est nécessaire parfois, à partir d’une parole qui trouve une adresse, que le destinataire, le psychanalyste,  se constitue en point d’appui pour l’élaboration d’ une solution inédite et sur mesure. Le symptôme, soit ce qui répond à ce qui ne va pas, est le seul traitement à condition de savoir s’en servir.

Le 30 septembre, pour les 10 ans du CPCT, nous aurons l’occasion d’entendre de façon concrète, à partir des cas mais aussi à partir de ce que des intervenants ont appris, quelques belles perles de cette expérience particulière au CPCT. 

Ne manquez pas cette rencontre .